Conférence du Professeur Eric FIAT

Professeur d’éthique médicale Université Paris Est Gustave Eiffel

Les 30 ans de JALMALV,

le 1er décembre 2022

em business school  Saint-Etienne

 

 

Je suis légitime pour parler de la fin de Vie car je suis un philosophe et aussi un formateur de personnel soignant, cela va du médecin à l’aide-soignante en passant par le kinésithérapeute, etc… C’est un public extraordinaire et j’essaie de mettre en mots ce que ce public éprouve.

 

 

« Stances à marquise » Corneille, 1658 

« Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux

Souvenez-vous qu’à mon âge

Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses

Se plaît à faire un affront

Et saura faner vos roses

Comme il a ridé mon front

Le même cours des planètes

Règle nos jours et nos nuits

On m’a vu ce que vous êtes

Vous serez ce que je suis ».

 

Je pars de ce poème pour installer le dialogue.

Le vieillissement est inévitable dans la vie humaine. Vieillir et mourir font partie de la condition humaine.

Etre une jeune marquise n’est pas forcément être dans une bonne attitude.

Les êtres vivants sont contingents et mortels. Cela est le lot de tout ce qui est vivant, depuis la plante en passant par l’animal et jusqu’à l’homme. La rose est contingente et mortelle, le phacochère est contingent et mortel, l’homme est contingent et mortel.

La différence entre la plante, l’animal et l’homme est que c’est seulement l’homme qui sait qu’il est contingent et mortel. De là, naissent deux sentiments : la joie d’être et le regret d’exister. On oscille toute notre Vie entre ces deux sentiments. « Je suis, la Vie est un cadeau, c’est une merveille que d’être sur terre » « je pense à ma mortalité, finalement, est-ce que cela vaut le coup que je vive ? Il aurait mieux valu ne pas naître ».

Tous les hommes cherchent une légitimité à être sur terre. Cette légitimité nous est donnée par les autres. Le jour où quelqu’un nous aime, il fait très beau ! La seule chose qui dit que ce soit bien, c’est le jour de l’Amour.

Le « je t’aime » c’est dire je suis joyeux à l’idée que tu existes. Le « je te bénis » c’est dire du bien de l’autre.

 

Maintenant, je sais !  Jean Gabin

Quand j’étais gosse haut comme trois pommes

J’parlais bien fort pour être un homme.

J’disais, je sais, je sais, je sais.

C’était le début, c’était le printemps.

Mais quand j’ai eu 18 ans, j’ai dit je sais, ça y est, cette fois je sais.

Et aujourd’hui, les jours où je me retourne

Je regarde la terre où j’ai quand même fait les 100 pas et je ne sais toujours pas comment elle tourne.

Vers 25 ans je savais tout, l’amour, les roses, la vie, les sous.

Tiens oui, l’amour j’en avais fait le tour.

Et heureusement comme les copains j’avais pas mangé tout mon pain.

Au milieu de ma vie j’ai encore appris.

Ce que j’ai appris, ça tient en trois ou quatre mots.

Le jour où quelqu’un vous aime, il fait très beau.

Je peux pas dire mieux, il fait très beau.

C’est encore ce qui m’étonne dans la vie, moi qui suis à l’automne de ma vie.

On oublie vite les soirs de tristesse mais jamais un matin de tendresse.

Toute ma jeunesse, j’ai voulu dire je sais seulement plus je cherchais, moins je savais.

Y’a 60 coups qui ont sonné à l’horloge. Je suis encore à ma fenêtre, je regarde, je m’interroge.

Maintenant, je sais qu’on ne sait jamais.

La vie, l’amour, l’argent, les amis, les roses. On ne sait jamais le bruit, la couleur des choses.

C’est tout ce que je sais. Mais ça, je le sais !

 

 Autrefois, on accompagnait les mourants sur la relation d’amour. Aujourd’hui, on accompagne les mourants sur une relation de respect.

Autrefois, les hôpitaux s’appelaient La Charité, La Pitié, l’hôpital St Luc, etc…. on trouvait en rentrant dans les bâtiments, la croix du Christ et au-dessus de la tête de lit, il y avait aussi une croix. Aujourd’hui, la croix est remplacée par la charte du malade où l’on y parle de respect, de dignité plutôt que de l’amour du prochain.

Le Christ est l’incarnation de l’amour du prochain. « Rabbi, c’est quoi l’amour du prochain ? » Il faut aller voir la parabole du bon samaritain dans Lc, 10, 25 à 37. Un prêtre et un lévite ne s’arrêteront pas pour secourir l’homme de Jéricho qui git sur la route. Un samaritain, ennemi des gens de Juda, viendra secourir cet homme blessé en pansant ses plaies. Le Christ interrogé par un lévite lui répondra « vas et fais de même que ce samaritain ».

Le bon samaritain est le modèle du soignant. On ne peut pas aimer sans soigner et on ne peut pas soigner sans aimer. Cela s’appelle la Charité.

« Charité » du mot caritas, agape.

En français, nous n’avons qu’un seul verbe pour « aimer ». J’aime le chocolat, Roméo aime Juliette, et j’aime mon prochain !

Eros = amour qui annonce « désir ». Le désir discrimine et hiérarchise. On discrimine celui que l’on ne trouve pas à notre goût. Le désir ne peut être universel car il est discrimination et hiérarchisation. On ne peut pas fonder la relation de soin sur l’amour puisque l’on ne peut aimer et désirer tout le monde.

Philia = amitié. Besoin de l’amabilité de l’autre pour naître et durer. Si vous comptez plus d’amis que les doigts de la main, ce n’est plus de l’amitié. Il s’agit alors de bonnes relations ou d’amitié politique. L’amitié est rare ou n’est pas ! On ne peut, donc, pas fonder la relation de soin thérapeutique sur l’amitié.

Agape = charité. C’est aimer l’autre même s’il n’est pas aimable. C’est sur cette forme là que l’on a construit la relation au malade.

Aujourd’hui, on est soigné par respect, j’en suis, tout de même, heureux car on demande trop lorsque l’on demande d’aimer tous les malades. C’est plus facile de respecter quelqu’un que l’on n’apprécie pas plutôt que de l’aimer. C’est moins ambitieux de respecter que d’aimer. Le respect met à distance.

Je voudrais vous donner deux exemples dans une vie d’aide-soignante.

Notre aide-soignante se réveille par un beau matin du mois de mai en pleine forme. Son petit déjeuner avec son conjoint se passe à merveille. Un inconnu lui offre un bouquet dans la rue….Bref, tout va bien pour elle. Elle arrive dans une chambre et tout se passe bien aussi avec la dame soignée. Elle reçoit de la gratitude. Elle peut facilement donner, lui prendre la main. Il y a de l’amour qui circule.

Notre même aide-soignante par un matin triste du mois de novembre se réveille fatiguée. Avec son conjoint, il y a de la tension dans l’air. Personne ne lui offre un bouquet dans la rue…Bref, tout va mal. Elle arrive dans la chambre et trouve un monsieur agressif ….. Rencontre d’un épuisement chez le soignant et de l’agressivité chez le soigné.  Difficile d’exiger de l’amour. Reste le respect. Kirikou qui demande pourquoi la sorcière est si méchante, c’est parce qu’elle est en souffrance ! Je ne légitime pas la souffrance mais je la comprends.

En misant sur le respect plutôt que sur l’amour du prochain, on a perdu quelque chose en route. A quelqu’un de fatigué de la Vie, si on ne vient qu’avec du respect, il manquera l’amour. Voir dans les yeux de l’autre. Lui dire qu’il est encore digne de vivre. Lui dire qu’il est bon qu’il soit encore là. Toujours partir de ces données fondamentales pour un accompagnement. Et toujours partir de ces données fondamentales pour discourir sur la fin de vie et l’euthanasie.

Ne jamais oublier que dans une chambre, il y a présence de trois cœurs. Le cœur du malade, le cœur du soignant et le cœur du proche. Il y a toujours un clivage dans chacun de ces trois cœurs.

Le cœur du malade « j’ai envie que cela s’arrête pourtant j’ai encore envie de vivre, de voir mes enfants ».

Le cœur du proche « je ne reconnais plus mon conjoint, je voudrais que cela cesse » « et pourtant laissez le moi encore ».

Le cœur du soignant (au sens large), même ambivalence.

Tout discours qui ne part pas de ces trois cœurs est un discours inquiétant.

En fin de Vie, il y a encore du possible. Tant qu’il y a de la Vie, il y a du possible. Cette dame qui souffre depuis longtemps de la maladie d’Alzheimer, qui prend avec sa main de la confiture, qui se barbouille avec et qui dit « taty Anna » ! Cette madeleine de Proust qu’est la confiture qui la ramène vers son enfance.

L’approche de la mort nous prive de certaines possibilités. Quand on vit le malheur, il est bon d’aller voir du côté de la philosophie. Une personne se repose / Une personne repose : cela se ressemble beaucoup. Il n’y a que le « se » qui fait la différence. La personne qui repose ne maîtrise plus rien. La personne qui repose n’a plus sa narine qui frissonne quand un parfum embaume, les couleurs ne font plus frissonner son œil, le goût ne fait plus frissonner ses papilles.

Le dormeur du val de Rimbaud

C’est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D’argent ; où le soleil de la montagne fière

Luit, c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort, il est étendu dans l’herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme.

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

Cheminer avec l’autre et essayer d’exalter les possibles même en fin de Vie, même pour une personne dans le coma. Par exemple, pour une ancienne danseuse, entendre une musique sur laquelle elle dansait, peut lui amener à refaire certains gestes très gracieux.

Montaigne, dans les Essais, dit que l’on devient vieux et que l’on meurt par morceaux. Biologiquement, il n’a pas tout à fait tort mais il a complétement tort quand il dit que la mort ne prendra plus qu’un quart d’homme tellement il est affaibli. Il nous faut être attentif à tous les morceaux de Vie. Il n’existe pas de degré dans la dignité de l’homme. Un mourant incontinent, replié sur lui-même n’a pas moins de dignité que moi qui suis en bonne santé.

Michelet a écrit qu’en tout être humain, il y a une chose singulière qui mérite de ne pas être oubliée lorsque la mort survient.

« Souvenez- vous qu’à mon âge, vous ne vaudrez guère mieux, le temps se plaît à faire un affront et saura faner vos roses comme il a ridé mon front… »

« Je suis une jeune marquise de 26 ans et je t’emm…… »

Non !

« Je suis une jeune marquise de 26 ans, il n’est pas impossible que je t’aime un peu et je ne veux pas t’emm…. Mais te démerder ! »

 

 JALMALV est un devoir de civilisation !

Soirée Anniversaire Jalmalv